"Le Club des Incorrigibles Optimistes" de Jean-Michel Guenassia
L'histoire: Michel Marini avait douze ans en 1959. C'était l'époque du rock'n'roll et de la Guerre d'Algérie. Lui, il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau. Dans l'arrière-salle du bistrot, il a rencontré Tibor, Léonid, Sasha, Imré et les autres. Ces hommes avaient tous passé le Rideau de fer pour sauver leur vie. Ils avaient abandonné leurs amours, leur famille, leurs idéaux et tout ce qu'ils étaient. Ils s'étaient tous retrouvés à Paris dans ce club d'échecs d'arrière-salle que fréquentaient aussi Kessel et Sartre. Cette rencontre bouleversa définitivement la vie de Michel. Parce qu'ils étaient tous d'incorrigibles optimistes.
La critique de Mr K: C'est encore une fois le hasard d'un chinage qui me mit sur le chemin de ce Club des Incorrigibles Optimistes à la réputation plus que flatteuse sur le net. Nelfe en avait connaissance et me montrait le présent volume en me disant que ça pourrait m'intéresser: adolescence et Histoire ont la part belle dans un roman fleuve salué par les retours de lecture que j'ai pu lire ici ou là. Je n'hésitais pas une seconde en ce mois d'août où à cause d'une glissade malencontreuse, je me trouvais dans l'obligation de rester au calme. Ce fut une lecture enthousiasmante et prenante comme jamais.
1959, drôle d'époque. En pleine Trente glorieuses, on suit le parcours de Michel Marini, un pré-ado adepte de rock-and-roll et de photographie ainsi que sa famille. Lecteur compulsif qui lit tout ce qui se porte à sa main, il est aussi un champion reconnu de baby-foot dans le quartier. Justement au Balto (bar où il signe ses exploits), il va faire la connaissance de différentes personnes réfugiées en France pour des raisons diverses et qui sont passées à l'ouest. Sous couvert d'un club d'échec, ces naufragés de la vie tout en jouant se rencontrent et se racontent. On suit donc la chronique d'une famille française de l'époque mais aussi le destin contrarié d'Igor, Léonid et les autres.
La première facette du roman qui m'ait marqué est cette chronique d'une adolescence douce-amère. Le jeune Michel est aux portes de l'âge adulte, peut-être même un peu plus tôt que les autres enfants de son âge. Il traîne beaucoup avec ses aînés et discute énormément avec les adultes. L'auteur, Guenassia, nous convie à partager un nombre incroyable de rebondissements familiaux et personnels, tellement qu'à la fin, on peut même s'identifier à Michel. Pour ma part, je m'y suis retrouvé à travers son rapport à la lecture qui ressemble à s'y méprendre au mien. Il a aussi des traits de caractère qui m'ont fait penser à moi plus jeune, drôle d'effet et addiction quasi immédiate pour ce récit très dense. Ses rapports avec sa famille sont ciselés et d'une rare intensité: on partage de beaux moments mais aussi des drames marquants qui retournent l'estomac. Fourmillant de détails intergénérationnels, on prend plaisir à suivre les Marini dans un monde en pleine évolution. Sa découverte de l'amour, ses déceptions, ses aspirations, tout est passé au crible de la plume virevoltante et si chatoyante de cet auteur que je ne connaissais pas.
L'aspect reconstitution historique est lui aussi remarquable. Nous sommes en pleine Guerre Froide et à la lumière des témoignages et histoires des membres du club, c'est une page pas si lointaine de notre histoire commune qui nous est racontée de manière naturelle et respectueuse. Ces réfugiés par leurs cas particuliers permettent d'aborder des thèmes variés et des aspects différents de ce conflit hors-norme: la dictature impitoyable de Staline, la division du monde en deux, la menace nucléaire, la propagande… Pour autant, on retrouve aussi l'amour qui peut provoquer des actes désespérés et tellement fous (mention spéciale à Léonid), la résistance et la défense de la liberté avec des combats que l'on gagne ou que l'on perd. Ces réfugiés, sans manichéisme outrancier, sont le reflet de leur époque. N'oublions pas non plus que nous sommes en pleine guerre d'Algérie, que la société française est partagée y compris au niveau des familles (à la manière de l'affaire Dreyfus qui divisa beaucoup en son temps aussi). Là encore l'auteur fait preuve d'une grande finesse et nous livre clef en main un roman éclairant avec simplicité et brio une histoire tourmentée et difficile à appréhender pour nous autres nés après cette période. Traîtres, terroristes, Algérie Française, OAS vs Fellagas, émergence de De Gaulle… En background la grande Histoire se déroule et va influencer fortement la famille Marini. Un régal de lecture et d'érudition sans prétention que j'ai apprécié au plus haut point.
730 pages! Que ce chiffre ne vous fasse pas hérisser les poils du cou! On ne voit pas le temps passer et les pages se tournent toutes seules. On en redemanderait presque tant on est happé par le texte et l'histoire. L'écriture est très élégante entre délicatesse et exigence. D'un accès facile, elle rend à merveille la profondeur du projet et livre un texte inoubliable par moment, réjouissant tout le temps. Difficile de relâcher le livre et préparez vous à passer quelques nuits courtes. J'ai adoré ce livre qui se place dans mon panthéon des lectures de l'année, avant de futures autres découvertes? En attendant vous savez ce qu'il vous reste à faire, ce livre est un must dans le genre. À lire de toute urgence pour sa maestria stylistique et son humanisme latent.