Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Capharnaüm Éclairé
10 août 2015

"Le Déchronologue" de Stéphane Beauverger

le déchronologue

L'histoire: Au XVIIe siècle, sur la mer des Caraïbes, le capitaine Henri Villon et son équipage de pirates luttent pour préserver leur liberté dans un monde déchiré par d'impitoyables perturbations temporelles. Leur arme: le Déchronologue, un navire dont les canons tirent du temps. Qu'espérait Villon en quittant Port-Margot pour donner la chasse à un galion espagnol? Mettre la main, peut-être, sur une maravilla, une des merveilles secrètes, si rares, qui apparaissent quelquefois aux abords du Nouveau Monde. Assurément pas croiser l'impensable: un Léviathan de fer glissant dans l'orage, capable de cracher la foudre et d'abattre la mort! Lorsque des personnages hauts en couleur, au verbe fleuri ou au rugueux parler des îles, croisent objets et intrus venus du futur, un souffle picaresque et original confronte le récit d'aventures maritimes à la science-fiction. De quoi être précipité sur ces rivages lointains où l'Histoire éventrée fait continûment naufrage, où les marins affrontent tous les temps. Car avec eux, on sait: qu'importe de vaincre ou de sombrer, puisque l'important est de se battre!

La critique de Mr K: Cela faisait au moins trois ans que Le Déchronologue me faisait de l'oeil dans ma PAL sans que j'y prête plus attention que cela. Et pourtant, à l'heure du bilan… Quel plaisir de lecture! Quelle évasion! Les quatre prix littéraires qu'il a recueilli auraient du pourtant me mettre la puce à l'oreille! Préparez-vous à embarquer dans un très grand roman d'aventure et de SF!

Sur les 554 pages que comptent l'édition de poche, nous suivons la destinée peu commune d'Henri Villon, flibustier en mer des Caraïbes au XVIIème siècle. Nous nous retrouvons en pleine guerre d'influence entre les grands Empires de l'époque qui veulent dominer la région, zone incontournable de passage et point clef des échanges entre la vieille Europe et le nouveau continent à exploiter. Au milieu des tractations et du tumulte des batailles, des êtres étranges observent ce monde sous tension et d'étranges objets semblant venir du futur échouent aux mains de certains qui voudraient semble-t-il modifier l'Histoire! Bien malin celui qui saura démêler les écheveaux d'une intrigue dense et multiforme qui se plaît avant tout à nous perdre pour mieux nous cueillir après!

Déroutant a été l'impression que j'ai pu ressentir de prime abord lors des 100 premières pages. Je me suis rendu compte de suite que les chapitres étaient agencés de manière bien particulière. En effet, un peu à la manière du film Pulp Fiction de Quentin Tarantino, l'histoire est présentée dans le désordre, nécessitant par là même de constants retours en arrière ou vers la table des matières pour se repérer et retrouver ses esprits. Ainsi on alterne le chapitre 1, 16, 17, 6, 2, 7 etc. C'est désarçonnant car il faut se faire violence face aux incompréhensions multiples que le procédé suscite: l'auteur aborde des événements que nous ne connaissons pas encore, nous rencontrons des personnages clefs après leurs faits et gestes importants et la chronologie s'emmèle. Il faut attendre la moitié du volume pour que les pièces du puzzle s'accordent entre elles et révèlent toute la richesse de la trame d'un roman d'aventure forcément différent des autres.

On accroche très vite aux personnages de ce Déchronologue qui en compte beaucoup. Bien évidemment au premier d'entre eux, je retiendrai Villon, breton de naissance, flibustier humaniste au courage et à la culture très étendus. Suivant sa morale et ses sentiments, il navigue avec son fidèle équipage dans des eaux troubles. Fasciné par ses étranges outils venus d'ailleurs (radio, armes, mystérieux navire d'acier…), il ne tarde pas à trouver leurs origines et se retrouve contacté par de mystérieux humains semblant venir de temps lointain. Je l'ai trouvé à la fois humain et philosophe, ses actes et ses réflexions faisant écho bien souvent à ma manière de voir les choses. Il peut tout autant se montrer fort et implacable face à l'adversité que démuni et désemparé face à Sévère, une femme qu'il a recueilli à son bord. Touchant, juste et remarquablement construit, ce héros rentre dans mon panthéon personnel en la matière. Voici un extrait d'une de ses pensées: Avez-vous jamais torturé une bête? Je ne parle pas d'écraser un rat trop curieux ou de trancher d'un coup de sabre un de ces chiens sauvages des Antilles, non… Je dis bien la torturer. Avec Calme, ou excitation, mais gratuitement. Cruellement. Non? Dans ce cas, essayez d'imaginer la terreur de l'animal quand vient la douleur, son incompréhension muette, mais surtout l'affirmation de votre volonté souveraine, en sus de votre sentiment de fascination et de honte mélangées. Une honte pétrie d'impunité et d'avilissement en observant l'animal se tordre et succomber sans comprendre aux blessures que vous lui infligez. Pour ma part, de toute ma carrière de flibustier, jamais je n'ai pu envoyer un navire par le fond sans ressentir une émotion similaire. L'impression d'irrémédiable souillure, en pilonnant vies et navires. Même quand l'adversaire s'était défendu. Même quand il y allait de ma survie, de celle de mon navire et de mes hommes. Pages 284-285

Tout autour gravitent des personnages charismatiques qui rendent bien le change au capitaine Villon: j'ai adoré Féfé de Dieppe, un contrebandier métisse au jargon inimitable et quasiment incompréhensible, le gouverneur Le Vasseur tyran de l'île de Tortuga alternativement allié ou ennemi de Villon, les figures du Baptiste et de Gobe-mouche (second et artilleur en chef du Déchronologue) aides précieux lors des multiples aventures du navire et toute une myriade de personnages secondaires tout aussi ciselés par un auteur amoureux de son sujet et des êtres qui s'y débattent. L'immersion est totale et spectaculaire de réalisme dans les villes portuaires, dans les entreponts de navires voguant au large, dans les prisons les plus sordides, les îles les plus mystérieuses qui soient, les batailles dantesques se livrant sous fond d'orage menaçant. On vit l'aventure avec un grand A et l'amateur du genre que je suis en est encore tout retourné!

Il faut dire que l'écriture de Stéphane Beauverger est un plaisir rare et d'une intensité sans faille. Le style est à la fois contemplatif pour de très beaux passages de description et des phases d'action virevoltantes collant au plus près des protagonistes. L’ajout de l'élément SF donne une ampleur encore plus grande à l'ensemble avec en arrière-plan des réflexions sur les notions de progrès, d'acculturation et de domination que le lecteur aborde sereinement à travers les péripéties contées. Le plaisir est donc totale, durable et me rappelle fortement une autre lecture qui m'avait aussi laissé KO: le fabuleux Vaisseau ardent de Jean-Claude Marguerite.

Expérience unique, voyage extraordinaire aux confins du monde et du temps, ce livre est un chef d'oeuvre, un livre-somme, un titre unique. À lire absolument, prescription de Mr K!

Publicité
Publicité
Commentaires
W
J'ai adoré !!! Quelle claque monumentale face à tant d'idées et d'imagination, le tout servi avec un vocabulaire riche. Villon a conquis mon coeur par son humanité, les seconds couteaux dont le Baptiste ou Féfé m'ont beaucoup plu. Puis rien que le contexte de la piraterie au XVIIe dans les Caraïbes, ça me fait rêver. <br /> <br /> Dire que ce livre a été acheté à cause de ta chronique ;-) Merci !
Répondre
N
je suis de nouveau dans le trip SF souvenir de mes années lycée avec toi.Merci pour cette découverte. J ai adoré aussi la horde du contrevent<br /> <br /> bisous nat
Répondre
M
Je me demande si tu n'aimerais pas "La horde du contrevent" d'Alain Damasio... ? Une perle SF également :) <br /> <br /> Mais tu l'as peut-être déjà lu :)<br /> <br /> En tout cas, le déchronologue est dans ma PAL numérique (iiiiiihhhhhaaaaa !!!)
Répondre
Z
Si c'est une prescription de Mr K, alors ! ce serait dommage de ne pas la suivre, d'autant que le dit médicament est déjà dans ma PAL !
Répondre
Publicité
Suivez-moi
Archives
Publicité