L'histoire: Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes du XXIe siècle. La santé de la population ne cesse de s'améliorer ; toutes les statistiques le prouvent. Le problème, c'est de maintenir les grands équilibres. Pour y parvenir, il faut supprimer 400 000 citoyens par an dans l'Hexagone. Choisis avec art et méthode par le Grand Ordi, qui chaque matin procède à un tirage au sort morbide. Le travail des Furets consiste à liquider, pas forcément en douceur, tous ceux dont la vie doit prendre fin au bénéfice de la communauté. Un boulot comme un autre, en somme. Avec des avantages. Jusqu'au jour où un certain Furet, grand amateur de films noirs du XXe siècle, découvre sur sa liste le nom de Jos. L'amour de sa vie.
La critique de Mr K: Retour vers de la SF française avec ce volume faisant la part belle au roman noir transposé dans un futur pas des plus rassurants. Vous prenez des codes bien établis que vous accompagnez à la sauce futuriste et vous obtenez un ouvrage assez étonnant qui se démarque nettement des productions lambda.
Le héros est un furet, comprendre un tueur à la solde de l'État chargé d'éliminer des personnes tirées au sort par un gigantesque ordinateur. L'objectif? Garantir la survie de l'espèce humaine, équilibrer la balance dans un monde où la maladie et la mort reculent inexorablement grâce à une technologie médicale à la pointe du progrès. Froid et distant, l'anti-héros est tourner sur lui-même et fait son travail sans se poser de questions sur les tenants et les aboutissants de ses missions. Il n'a pour seul compagnon que son poisson rouge (Moby Dick sic!) et accumule les exécutions sans état d'âme. Seule faille dans son personnage de dur à cuire, la mystérieuse Jos, belle comme le jour et belle de nuit de profession qui illumine sa vie dès qu'il passe des moments avec elle. Un jour, la menace pèse sur elle et cela va tout changer. Un grain de sable dans une machinerie complexe peut mettre à mal tout le système, l'équilibre n'existe plus et c'est la fuite en avant…
Dès les premières pages, l'ambiance est plantée. Pas beaucoup d'espoir dans cette ville futuriste où le tueur erre de quartier en quartier pour sa besogne. C'est l'occasion pour l'auteur de nous décrire un monde bien segmenté entre pauvres, riches, intellectuels et société du spectacle. On passe donc de ruelles insalubres et empuanties à de grandes zones de loisir où l'insouciance est de mise entre frivolité et appât du gain. Les classes sociales s'ignorent royalement, cohabitent dans une même cité sans jamais se rencontrer, un grand classique dans la SF prospective. Seule gageure d'égalité, l'ange de la mort incarné par le héros qui ne fait pas dans le détail et la ségrégation sociale. Il reçoit sa liste (entre 5 et 10 noms) et il a la journée pour les exécuter.
Avec lui, on suit ces différentes mises à mort où son sens moral est totalement effacé devant sa mission. Il ne fait que son métier finalement… Froid et clinique, ses descriptions et analyses cinglent le lecteur tel un bon coup de fouet au rythme des formules chocs, mélange savoureux de formules à la Audiard et de néo-argot (beaucoup de néologisme bien typés SF dans ce livre). C'est aussi des passages de repos forcé, d'auto-réflexion qui nous sont livrées. Le personnage principal est seul, il se vide l'esprit en assouvissant sa passion pour le vieux cinéma Hollywoodien (que de références égrenées tout au long des 253 pages de l'ouvrage!), il y dépense beaucoup d'argent et s'en inspire pour ses tenues de bourreau (un coup privé froid, un coup cowboy sur le retour). Il noue une relation spéciale avec la belle Jos qui vient le voir régulièrement pour discuter, boire un coup ou encore aller au zoo. Rien de vraiment sexuel à proprement parler (même si une certaine tension à ce niveau là est perceptible) mais plutôt une attraction réciproque et un sentiment de bien être lors de leurs rencontres. Cela permet à l'écrivain de nous offrir de très belles pages qui contrastent avec le quotidien plutôt rugueux du furet.
Au détour des pérégrination de celui-ci, par petites touches, Andrevon nous immerge dans un futur pas si éloigné où la technologie futuriste est totalement intégrée à la société (mention spéciale aux "pous" qui s'avèrent être des sortes de balises GPS que l'on implantent dans le cou de tous les nouveaux nés et qui permettent de repérer quiconque en moins de deux!), une société devenue liberticide à force de rechercher le bien commun. C'est d'ailleurs dans ces questions quasi métaphysiques que réside le cœur de l'intrigue qui tire son épingle du jeu par son caractère profondément noir. Ne vous attendez donc pas à une fin heureuse…
La lecture est aisée et rapide, Andrevon excelle dans sa description du quotidien du furet et par sa lente prise de conscience de la nature réelle de son travail. On devine quelques ficelles à l'avance (surtout si on est habitué au genre) mais c'est avec un plaisir sadique (qui convient bien au ton cynique du texte) que l'on continue sa lecture qui nous emmène loin dans les realpolitik du futur entre paranoïa et hybris sanitaire. "Le Travail du Furet" est un bon roman de SF comme je les aime que je ne peux que vous conseiller.
Egalement lus et chroniqués au Capharnaüm éclairé:
- Un horizon de cendres
- Tout à la main
- Le monde enfin
- La Fée et le géomètre
Je suis décidément très contente d'avoir ajouté votre blog à mes flux il y a quelques mois ! Les articles sont travaillés et les livres chroniqués correspondent plus à mes goûts que la plupart des autres blogs littéraires. En plus vous êtes fans de films de genre, que demande le peuple ? Merci pour tous ces super articles !