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Le Capharnaüm Éclairé
6 juin 2015

"Poids mort" de Xavier Mauméjean

poidsmort

L'histoire: Paul Châtel entrait plus volontiers dans un café que dans sa femme. Cela n’avait rien à voir avec une prétendue addiction, et encore moins avec leur histoire d’amour. La cause tenait uniquement à ce qu’il ne supportait plus d’être lui-même. Pour devenir autre, c’est-à-dire formidablement obèse, il lui avait fallu courage et patience. Une discipline nécessaire pour intégrer le programme Pondération. La boite avait pour vocation de régler tous les problèmes. Depuis, sa vie avait changé. Aucun regret, bien au contraire, pour l’ancien Paul disparu sous ses replis de graisse. Il avait pris de la consistance. Paul flottait, dans un bain de vapeur, massé par les remous du jacuzzi, léger et désirable comme un bouquet de crevettes. Son mollusque nageait en dessous de la ligne de flottaison. II ne l’avait plus vu depuis que cette bouée de chair lui collait à l’estomac, semblable à un naufragé volontaire. Son histoire était simple, mais elle ne manquait pas d’épaisseur.

La critique de Mr K: Trois lectures de cet auteur, trois belles expériences et au fil des Utopiales, des rencontres enrichissantes avec un homme érudit et accessible. Nelfe, aimant augmenter à l'occasion ma PAL déjà débordante, est revenue il y a quelques temps avec cette nouvelle de Xavier Mauméjean. Vous ne soupçonnez pas les merveilles que l'on peut dégoter dans les endroits les plus incongrus - et croyez moi, dans ce domaine, Nelfe est passée reine du dénichage. Dans cet ouvrage de la collection Novella SF des éditions du Rocher, l'auteur nous livre une histoire plutôt singulière…

Paul Châtel ne se satisfait plus de sa vie. Tout l'ennuie, il a perdu la saveur de l'existence. Sa femme l'indiffère, son fils n'a pas beaucoup plus d'importance que cela. Il en va de même pour son travail et il a l'impression de passer à côté de sa vie. Un jour au bar où il a ses habitudes, un ancien compagnon de classe lui parle d'une mystérieuse société cherchant des personnes pour participer à des expériences d'un genre nouveau. Voyant la réussite éclatante de cette ancienne connaissance, il va tenter l'aventure pour essayer de prendre en main sa vie.

La société Taxinom lui propose alors de rentrer dans le programme Pondération. Il s'agit pour lui de gagner 40kg en six mois avec en objectif une obésité qui pourrait lui apporter une forme de reconnaissance de soi et un bonheur qui jusque là semble lui échapper… Bizarre vous avez dit bizarre? Vous n'avez encore rien lu, espèce de prison dorée où tout lui est accessible (sauf le monde extérieur comme par hasard...), il doit se gaver de repas plus délicieux les uns que les autres (chaque jour devant être une fête, les menus sont calqués sur les repas de fêtes traditionnels: Noël, Pâques, Anniversaire…). Étrange atmosphère constituée de docteurs froids, de superviseurs démagos, de gardes armés surveillants vos moindres faits et gestes, de cobayes consentants qui pètent les plombs… On nage en eaux troubles: que recherche Taxinom? Que va-t-il arriver à Paul? Où veut en venir l'auteur qui se fait bien plus mystérieux qu'à son habitude?

Peu à peu, le lecteur se retrouve emprisonné avec Paul dans un univers glaçant et paranoïaque. Pourtant, le héros ne fait pas grand chose pour s'en sortir, il se raccroche à l'idée qu'il va retrouver un sens à sa vie notamment par le biais de Brigitte une patiente du même programme qui lui redonne goût à certains appétits qu'il semblait avoir perdu définitivement. Cela donne lieu à une scène d'amour en jacuzzi absolument dantesque comme rarement j'ai pu en lire auparavant. Très vite, on se rend compte que cette femme fait partie intégrante de l'expérience et qu'elle doit conduire Paul là où l'entreprise veut le mener. On en perd son latin et c'est vraiment à l'ultime page que le voile sera levé lors d'une chute abrupte et quelque peu décevante dans le sens où Xavier Mauméjean nous sert une explication crédible mais que j'aurais pensé et voulu plus poussée voir métaphysique.

Cela n'enlève en rien à toute l'architecture troublante de la trame déployée sur les 127 pages que compte cette nouvelle. On retrouve le même plaisir et la même fascination pour un style exigeant et si accessible à la fois avec par exemple ce passage: Il lui fallait l'un et l'autre, esprit et viscère, ou mieux pensée et panse sans avoir à y réfléchir. Jeux de mots, images nouvelles, second degré continuel… pour une lecture qui offre réflexion, humour et un peu de noirceur. C'est un savant mélange qui fait bien son effet et qui marque le lecteur pour un petit bout de temps. Une aventure qui se tente pour tous les amateurs de SF maligne et constructive.

Lus, appréciés et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé:
- Lilliputia
- American gothic
- Ganesha

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