L'histoire: La première fois que j'ai vu Lambert, c'était le jour de la grande tempête. Le ciel était noir, très bas, ça cognait déjà fort au large. Il était arrivé un peu après moi et il s'était assis en terrasse, une table en plein vent. Avec le soleil en face, il grimaçait, on aurait dit qu'il pleurait. C'est à La Hague – un bout du monde à la pointe du Cotentin – que la narratrice est venue se réfugier. Elle arpente les landes, observe les oiseaux migrateurs… et Lambert, homme mystérieux et tourmenté aperçu un jour de tempête, et qui n'a cessé depuis lors d'éveiller sa curiosité.
La critique de Mr K: Aujourd'hui un livre qui a fait couler beaucoup d'encre. Mon premier contact avec lui a eu lieu par hasard lors du passage de l'épreuve de français du Diplôme National du Brevet version Professionnelle d'il y a trois ans. Un extrait de ce récit était proposé aux candidats pour la partie analyse de texte et j'avais trouvé le style assez étonnant et rafraîchissant. Le temps a passé et j'ai lu ici ou là des avis très partagés sur ce roman fleuve (540 pages tout de même!) de Claudie Gallay. Beaucoup ont adoré et ont trouvé Les Déferlantes immersif au possible, beaucoup ont aussi arrêté en cours de route ayant eu l'impression de perdre leur temps… Emmaüs avait encore frappé l'année dernière et une amie avait vraiment dévoré ce livre, je décidai donc de tenter à mon tour l'expérience.
La narratrice se trouve dans un petit villa de bord de mer dans le Contentin. Seulement entourée de la Nature sauvage et de personnalités du secteur, elle surnage dans sa vie devenue inutile selon elle depuis la disparition de son compagnon. Très pudique, c'est une taiseuse, elle ne s'épanche pas et vit simplement, de façon contemplative, observant les gens comme elle observe les oiseaux (c'est son métier). Le temps s'écoule lentement, sans surprise, dans une monotonie morne mais rassurante pour cette femme convalescente. Un jour, elle fait la rencontre de Lambert, un homme étrange, secret (un peu comme elle) qui va faire ressurgir du passé des événements dramatiques et changer à jamais les rapports de la petite communauté locale.
Pour ma part, j'ai été happé immédiatement par ce roman. Le rythme est très lent certes, il se calque sur la nature de son héroïne et on se balade lentement sur la côte, on suit le quotidien du petit bar du coin, du faible d'esprit qui retape un vieux bateau, on observe la nidification des oiseaux, le travail d'un sculpteur au succès à venir… il ne se passe pas pas grand chose mais il se dégage un magnétisme certain de cette histoire plutôt banale au prime abord. Mais plus on s'enfonce dans le récit, plus on se rend compte que par petite touche l'héroïne évolue, sort de sa coquille pour s'intéresser aux autres puis à Lambert. D'où vient-il? Quelle est la nature du drame qu'il a vécu? Quel secret va-t-il découvrir? L'omerta est de mise dans la petite communauté de La Hague, les rancunes sont tenaces, la jalousie et les remords aussi.
Entre deux expéditions sur la côte pour son travail, l'héroïne au détour d'un coup au bar ou d'une soirée jeu de cartes va s'apercevoir que tout ce petit monde est lié par des liens plus ou moins visibles et avouables. L'apparence simplicité des rapports humains cache un vécu rude et souvent solitaire. Cela fait écho avec son propre vécu et son rapprochement progressif avec Lambert va lui permettre d'enfin pouvoir essayer de passer à quelque chose d'autre. Elle devra pour cela lever quelques mystères et se faire violence. Beau parcours que celui de la narratrice, une personnalité éteinte révélée par le prisme des autres protagonistes.
L'écriture est vraiment particulière et elle ne plaira pas à tout le monde. Texte descriptif à souhait entre nature et sentiments profonds, les phrases sont ici courtes et lapidaires. Elles rebondissent de mots en mots, le rythme est haché et assez déconcertant pour qui est habitué à lire des romans plus classiques. J'ai bien aimé ce caractère d'urgence, cette tension accumulée par les différents protagonistes et l'écriture la rend à merveille. Ce roman se lit effectivement très rapidement et d'une traite comme le proclame la quatrième de couverture et on a l'esprit qui chavire au fil des secrets qui s'éventent et des révélations. J'ai aimé aussi cette immersion totale dans ce microcosme replié sur lui-même à la fois froid, accueillant et autosuffisant. Par moment, certains personnages partent pour reprendre leur souffle mais ils ne tardent jamais vraiment à revenir comme hypnotisés par les lieux. Ça m'a presque donné envie d'aller y faire un tour pour aller voir le phare, l'auberge et l'île d'Aurigny.
Une excellente lecture que je ne peux que conseiller aux amateurs de grand air et d'histoires intimistes!