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Le Capharnaüm Éclairé
18 septembre 2014

"Je finirai à terre" de Laurent Gaudé

Je-finirai-a-terre-laurent-gaudeL'histoire: Gaston Brache, soldat de la Grande Guerre, marche dans la neige. Il doit trouver un homme, et lui délivrer le message d'un compagnon d'armes décédé qui tient en quelques mots obcurs: "Je n'ai pas pu le contenir". Le vieux paysan auprès duquel il s'acquitte de sa mission semble frappé d'épouvante. Tandis que tonne le canon, et qu'à l'étage résonnent des bruits étranges, il sert un verre au visiteur et lui raconte son histoire...

La critique de Mr K: Le récit de "Je finirai à terre" commence avec un homme seul marchant dans la campagne. Il est en route pour délivrer un message. L'hiver est là et au loin résonnent les détonations des pièces d'artillerie. La guerre est omniprésente dans cette nouvelle, jamais frontalement mais au centre de tout. L'ambiance est plantée dès le début et la tension va monter crescendo au fil du déroulé de l'étrange histoire que va lui raconter le vieillard à qui il vient de délivrer son message. Le récit jusque là réaliste va entrer de plein pied dans le domaine fantastique et la résolution de l'ensemble se révèle inédit (du moins dans mes lectures personnelles!).

Cette nouvelle de 58 pages prend son temps, ménageant à merveille les attentes légitimes et pressées d'un lecteur pris en otage et incapable de détourner son regard de cette histoire prenante et riche. Gaudé avec tout le talent qu'on lui connaît, cisèle ses personnages et les lieux qu'il traverse. L'immersion est totale et frappée du sceau de la menace. La menace de la guerre tout d'abord qui hante l'esprit de Gaston Brache qui l'a subi dans sa chair et son esprit. Pareille boucherie laisse des traces et la psychologie de ce poilu-messager est admirablement reconstruite pour mieux nourrir le récit et les analogies à venir par la suite. Il y a aussi ces mystérieux bruits provenant de la pièce fermée à clef au premier étage et qui n'ont rien d'engageant croyez moi! Une fois le voile levé, l'auteur écrit tout un chapitre du point de vue de ce qui provoque ces bruits et cela donne de merveilleuses pages de littérature haut de gamme entre naturalisme et fantastique.

Derrière ce petit récit fantastique, il n'y aucun doute possible: le message est pacifique et désabusé. L'homme prend un malin plaisir depuis ses origines à détruire son environnement et tous les objets de ses désirs. Les errances de l'espèce humaine vous l'avez deviné, sont au centre de la révélation purement surnaturelle qui cueille le lecteur à la fin de sa lecture passionnée. Une belle parabole amenant à réfléchir sur nos actes, nos besoins et notre nature profonde. L'importance dans ce texte est tout le cheminement menant à la vérité finale, à travers le vieil homme et son passé, la rencontre avec ce jeune poilu traumatisé. Il se dégage une image marquante de notre humanité.

Comme toujours, ce fut un grand moment que de lire ce Gaudé. Langue accessible, poésie latente et efficacité optimums sont au rendez-vous pour le plus grand plaisir de l'adepte du maître que je suis. Le suspens est ménagé à la phrase prêt et ne laisse pas de place au désintérêt. Cette nouvelle se lit d'une traite et nous plonge dans une ambiance vraiment particulière où l'espoir semble vain. La concision de l'œuvre n'entache en rien son pouvoir évocateur en matière historique et l'aspect romanesque sublime le background historique pour le rendre plus concret et plus marquant. Belle entreprise que je ne peux que louer et que j'encourage à faire découvrir notamment chez les plus jeunes (à partir de 14 ans tout de même!) pour conjuguer plaisir de lecture fantastique et petit appoint historique. Plusieurs grilles de lectures étant envisageables, tout à chacun y trouvera son compte. Il serait vraiment dommage de passer à côté de cette expérience inoubliable.

Une lecture de plus que je vous recommande chaudement!

Egalement lus et appréciés au Capharnaüm éclairé:
- "La Porte des Enfers"
- "Pour seul cortège"
- "Le Soleil des Scorta" (il n'y a malheureusement pas de chronique car lu avant de tenir ce blog)

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