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Le Capharnaüm Éclairé
15 juin 2014

"Des souris et des hommes" de John Steinbeck

des-souris-et-des-hommesL'histoire: Lennie serra les doigts, se cramponna aux cheveux.
- Lâche-moi, cria-t-elle. Mais lâche-moi donc.
Lennie était affolé. Son visage se contractait. Elle se mit à hurler et, de l'autre main, il lui couvrit la bouche et le nez.
- Non, j'vous en prie, supplia-t-il. Oh, j'vous en prie, ne faites pas ça. George se fâcherait. Elle se débattait vigoureusement sous ses mains...
- Oh, je vous en prie, ne faites pas ça, supplia-t-il. George va dire que j'ai encore fait quelque chose de mal. Il m'laissera pas soigner les lapins.

La critique de Mr K: Jusqu'à maintenant je n'avais lu qu'un seul roman de Steinbeck et je n'en avais pas gardé un souvenir formidable. Il faut dire que les conditions n'étaient pas des plus engageantes, il s'agissait de La Perle et c'était la lecture d'une œuvre intégrale imposée par une professeur de français rébarbatives (pour rester poli). J'étais très jeune aussi (sans doute trop pour percevoir toute la finesse de cet écrivain) et après la grosse claque que j'ai reçu en lisant Des souris et des hommes, je pense que j'y reviendrai. C'est bien simple, je n'ai pu reposer le livre et je l'ai lu d'une traite, littéralement happé par cette histoire apparemment simple mais au message vivace et universel.

George et Lennie sont deux manouvriers itinérants proposant leurs bras en échange d'une maigre paie, du gîte et du couvert. Un lien puissant d'amitié semble les unir malgré leurs différences. Autant George est petit et malin autant Lennie est un colosse simplet incapable de subvenir à ses besoins. Ils ont un rêve commun: acheter un lopin de terre et se consacrer à l'agriculture et l'élevage. Pour cela, il leur faut mettre de l'argent de côté mais ils ont du partir précipitamment de leur ancien lieu de travail car Lennie a une fois de plus fauté. Le roman débute lorsqu'ils arrivent en vue du ranch qui va leur fournir leur futur travail.

D'emblée, on est pris à la gorge par l'atmosphère étouffante de ce livre. L'amitié forte qui unit les deux personnages principaux est touchante mais on sent bien qu'on est en bout de course, que George a de plus en plus de mal à canaliser son ogre d'ami. Ce dernier est d'une gentillesse extrême mais ses pertes de mémoires à répétition, son aliénation mentale le rendent borderline et incontrôlable. Surtout quand il se retrouve en présence de tierces personnes. Tant qu'il est seul avec George, tout se passe bien, ce dernier arrive à le juguler et les choses rentrent dans l'ordre très vite. Il va en être tout autrement au sein de la micro-société du ranch où les deux compères vont côtoyer d'autres personnes et Lennie s'en remet entièrement à George qui porte ce poids comme il peut. La vie étant ce qu'elle est, ils vont rencontrer des gens peu recommandables, d'autres plus amicaux mais au contact desquels les règles changent et Lennie ne peut s'adapter. Dès lors, la machine infernale est en marche et un fatum insidieux s'installe jusqu'à la terrible fin qui semble inéluctable.

L'écriture de Steinbeck est d'une simplicité désarmante. Peu de mots et phrases lui suffisent pour planter un décor, caractériser ses personnages qui prennent une dimension universelle. L'action se situe dans les États-Unis de la Grande Dépression mais on pourrait transposer cette histoire quasiment n'importe où, n'importe quand. En plus de la relation de George et Lennie qui est relatée avec finesse et tendresse, j'ai aimé tous les personnages secondaires qui apportent leur pierre à ce bel édifice littéraire: Slim le roulier à la bienveillance éclairante et à la sagacité acérée, le vieux Candy qui végète dans l'exploitation, apporte son aide sur de menus travaux et représente l'ancienne génération qu'on a laissé de côté (le passage avec son vieux chien qu'on doit abattre est insoutenable), Crooks autre ouvrier agricole remisé dans une pièce à part parce qu'il est noir, Curley mari jaloux pathologique dont la femme semble allumer tous les hommes de fermes du voisinage et qui va être au centre du dénouement final. Autant de personnages secondaires qui densifient un récit assez simple mais dont la complexité psychologique se développe sous nos yeux et fait monter la pression comme rarement. On a rarement aussi bien écrit sur la condition et la nature humaine mais surtout sur l'amitié. On n'est pas loin des larmes quand on referme cet ouvrage.

Une fois de plus, voilà un livre qui nous fournit des émotions très fortes voir rares. On est tour à tour attendri, inquiet, horrifié. Franchement, Steinbeck n'a pas son pareil pour procurer des sensations puissantes et réflectives. On côtoie la Grâce aux détours des pages et on peut pratiquement parler de perfection littéraire devant le dépouillement et la sobriété de l'histoire ici racontée et sa portée humaniste. Un grand et beau livre qu'il faut absolument avoir lu!

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Commentaires
N
J'ai adoooré ce livre, en lisant cet avis des émotions sont remontées en surface, il ne s'oublie pas visiblement. <br /> <br /> Le passage sur le chien me déchire encore :( <br /> <br /> Jamais l'amitié n'aura été aussi bien mise en avant, selon moi.<br /> <br /> Il ne faudrait pas rater le film, très fidèle une excellente adaptation.
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L
superbe!
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P
J'étais aussi passée à côté de La perle il y a longtemps mais j'avais adoré Des souris et des hommes, relu dernièrement avec autant de plaisir. J'ai lu il y a peu Les raisins de la colère et A l'est d'Eden : un régal. Je poursuivrai ma découverte de Steinbeck...
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