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Le Capharnaüm Éclairé
12 août 2013

"La Demoiselle de la Légion d'Honneur" de Annie Goetzinger et Pierre Christin

demoisellelegiondhonneurL'histoire: Parce que ma vie, même si j'avais tout fait pour oublier que je la vivais, je la sentais quand même qui s'écoulait hors de moi, absurde ruisselet aux rives imprécises...

La critique de Mr K: Une nouvelle BD du scénariste Pierre Christin à mon actif aujourd'hui! On le retrouve ici avec la dessinatrice Annie Goetzinger pour une deuxième collaboration après ma lecture enthousiaste du volume "La Diva et le Kriegspiel". "La Demoiselle de la légion d'honneur" appartient lui aussi à la collection Portraits souvenirs de la maison d'édition Dargaud et ce volume n'a fait que renforcer tout le bien que je pouvais penser d'eux. Une fois de plus, c'est au travers le destin d'une femme lambda que les auteurs nous invitent à traverser tout un pan de siècle pour mieux explorer les périodes obscures de notre Histoire commune.

Aline Erckmann est pupille de la nation. Orpheline suite à la défaite française en Indochine, elle est placée là où vont les filles de soldats morts pour la patrie française avec les honneurs et devient une demoiselle de la légion d'honneur. Dans cette institution très rigoriste pour jeunes filles, elle va passer toute son adolescence et va être en quelques sorte "façonnée". Garants de sa bonne "éducation" , l'inspectrice générale (genre de Folcoche fonctionnaire) et les éducatrices vont s'efforcer d'en faire une femme soumise, n'obéissant qu'aux devoirs incombant à son sexe, réfrénant ses désirs et aspirations. Très vite, elle sera présentée à l'héritier d'une grande famille de la nomenklatura française de l'époque et se mariera comme dans un rêve sans réellement s'en rendre compte. Mais derrière la façade féérique se cache des réactionnaires extrémistes et une vie qui s'envole.

planche_demoiselle_legion_honneur(cliquez sur l'image pour voir en plus grand)

La grande force de Christin réside dans son talent pour caractériser ses personnages et nous proposer une histoire ancrée dans le réel. Le personnage d'Aline est un modèle du genre que l'on retrouve souvent dans les grands fresques littéraires historiques. Rien ne la distingue vraiment mais à travers son destin contrarié, les auteurs abordent des sujets sensibles comme la place de la femme française dans l'après Seconde Guerre mondiale et les choix qui pouvaient s'offrir à elle. Témoin de son temps et de sa vie, le personnage principal pendant une bonne partie de la BD semble absente de son existence et suit les courants sans réellement s'impliquer. Sa belle famille l'utilise comme un bel objet de décoration pour leurs réceptions et les prises de contact de son mari qu'elle se contente de suivre sans vraiment poser de questions. Pour cela, elle se révèle bien énervante même si les planches qui se suivent ne font qu'évoquer les normes sociales d'une époque rétrograde. Le déclic finit bien par venir et elle doit alors prendre son courage à demain pour réunir ce qui lui reste de dignité et d'amour maternel pour retrouver son enfant et se construire enfin une vie où elle décidera seule de son avenir. La fin du récit se termine sur une note optimiste malgré un récit tortueux et vertigineux à la fois.

En suivant Aline, on explore aussi les phases cachées et peu avouables de notre histoire avec notamment une plongée sans concession dans la guerre d'Algérie et le ressentiment nourri par les pro Algérie française mais aussi dans le monde colonial français en pleine déliquescence. Au détour des planches, il est question de complot visant à déstabiliser le pouvoir gaullien accusé de traitrise envers la patrie, des coutumes ancestrales de certaines tribus africaines, de la prise du pouvoir à Cuba par Castro, de scandales politiques, de mai 68, de la lutte des classes et plus particulièrement des mœurs nauséabonds régnant au cœur des grandes familles aristocratiques... Le tout est remarquablement traité avec un souci du détail et un traitement historique sans faille. Belle manière en tout cas de réviser cette période clef que fut la Guerre Froide pour la planète entière car vous l'avez compris, le lecteur voyage beaucoup en compagnie de l'héroïne.

planche demoiselle legion honneur

(cliquez sur l'image pour voir en plus grand)

L'aspect technique est lui aussi très réussi. Les dessins de Goetzinger sont simples mais toujours justes et évocateurs à souhait. On est vraiment plongé dans une époque et son talent complète à merveille celui de Christin. Les pages se tournent rapidement, sans effort et le suspens est maintenu jusqu'au bout. Les allers-retour constant entre la grande Histoire et la vie d'Annie se font naturellement et on ressort à la fois plus instruit mais aussi transporté par cet récit très bien mené.

Une belle expérience de lecture pour un ouvrage que je vous invite à découvrir au plus vite.

Déjà lus, appréciés et chroniqués du même scénariste:
- La maison du temps qui passe
- La croisière des oubliés
- Partie de chasse
- La diva et le kriegspiel

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Commentaires
A
La demoiselle de la Légion d'honneur de Pierre Christin (Scénario), Annie Goetzinger (Dessin) est bien présentée, apportant des informations complémentaires ici http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/39697
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