L'histoire: Bonsoir Londres!
Il est neuf heures, et vous écoutez la Voix du Destin sur 275 et 285, ondes moyennes. Nous sommes le 5 novembre 1997.
Il est demandé aux habitants de Londres d'éviter les quartiers de Brixton et de Streatham, actuellement en quarantaine pour des raisons de santé publique et de sécurité.
La police a organisé une rafle dans le secteur de Birmingham tôt ce matin, mettant à jour ce qui semble être un important réseau terroriste. Vingt personnes, dont huit femmes, ont été mises en détention préventive.
Le beau temps sera interrompu par une petite averse entre 00h07 et 1h30 du matin.
Bonne soirée.
La critique de Mr K: Voici un roman graphique aussi ambitieux qu'intelligent et remarquablement bien mené. A l'instar de Maus de Spiegelman, cette Bande Dessinée transcende son genre trop souvent sous-estimé pour trouver sa place à côté d'Orwell, Huxley ou encore Levin. Un copain me l'avait prêté il y a déjà un certain temps, j'étais allé voir l'adaptation au cinéma (plutôt réussie malgré certains passages et messages aseptisés) et les Utopiales 2011 ont été l'occasion de l'acquérir et surtout de rencontrer David Lloyd le dessinateur, homme chaleureux et généreux qui nous a charmé Nelfe et moi. J'ai d'ailleurs du coup eu la chance de faire dédicacer notre exemplaire à nos deux noms, c'est dire qu'on va le bichonner notre ouvrage!
V pour Vendetta a été conçu pendant les années Thatcher et il cristallise toutes les inquiétudes de l'époque concernant la perte de liberté et le totalitarisme. Presque trente ans plus tard, rien ne semble avoir changé quand on observe attentivement le monde dans lequel on évolue même si les procédés sont plus discrets et font appel davantage aux désirs de chacun qu'à sa conscience propre. L'Angleterre fasciste présentée dans la BD est proprement terrifiante. Tout est contrôlé en permanence, les marginaux ont été écartés de la société, emprisonnés et éliminés (homosexuels, étrangers, opposants politiques). La population baigne dans le tiède, endormie par les médias contrôlés par les autorités (les différents organes du pouvoir renvoient aux sens avec le nez, l'oreille, le doigt etc..., belle illustration du contrôle que l'État souhaite posséder sur ses administrés).
Mais voilà qu'un homme masqué amateur de Shakespeare (aaah les belles citations!) semble décider à changer cet état de fait, à réveiller les consciences, un homme au lourd passé aussi mystérieux que romantique: le dénommé V. Nous le découvrons au fil des pages à travers les yeux de Evey, jeune fille qu'il sauve des doigts de la milice gouvernementale et qui représente à elle seule la condition des anglais dans ce régime totalitaire: innocente mais aussi inconsciente et endormie. La révélation sera lourde et l'éveil à la liberté méthodique et implacable à l'image de V, héros au charisme hors norme auquel on se prend à penser à de nombreuses reprises tant il est un symbole plus qu'un être humain à part entière, le symbole de l'esprit humain dans ce qu'il a de plus juste et de libérateur. Sa vengeance personnelle telle des dominos se suivant va s'abattre sans concession et mener une révolution comme jamais vous aurez pu en lire auparavant.
Les dessins de Lloyd très rétro dans le style, illustrent à merveille un récit mené de main de maître par un Alan Moore visionnaire et halluciné. Il n'y a jamais de concession à la morale bien pensante mais une réflexion aussi profonde qu'instructive sur des notions telles que l'anarchie et la propension de chacun d'obéir ou non à un ordre juste ou injuste. Il est question donc de liberté mais pas dans le sens que lui donne Sartre (Elle commence là où se termine celle des autres) mais dans un sens absolu, extrémiste. Ça vous donne des frissons dans le dos et des velléités de foutre un bon coup de pied dans la fourmilière des intérêts économiques et politiques qui nous gouvernent je vous le jure! Finalement, ce roman graphique relève vraiment du brulot révolutionnaire, un brulot basé sur l'humanisme et le refus de plier face à l'injustice.
Essentielle! Parfaite! Jubilatoire! Voici les trois mots qui résument le mieux ma lecture de cet ouvrage clef dans le façonnement d'une identité et d'une manière de penser. Une grande œuvre au service de l'Homme dans ce qu'il a plus de noble. Quoi??? Vous ne l'avez toujours pas lue?