"Les jolies choses" de Virginie Despentes
L'histoire: Il y a eu ce jour-là: il l'a ramenée devant sa porte et, assis sur le capot de sa caisse, s'est mis à lui dire des blagues. Claudine est arrivée, elle lui a fait son numéro. Et quand elle s'est éloignée, Seb a juste décrété: «Elle est drôlement jolie ta soeur. Mais elle n'a pas ce que t'as».
Pauline et Claudine sont soeurs jumelles, et pourtant tout les sépare. La première, rebelle et fidèle, refuse le compromis. La seconde, fonceuse et paumée, aime séduire et plaire. Mais quand cette dernière se suicide, Pauline prend sa place et bascule dans un monde factice et frelaté.
La critique de Mr K: Voilà un Despentes fort réussi qui m'avait pour le moment échappé. Je suis tombé dessus par hasard dans une brocante à Périgueux, il me tendait ses petits bras, je n'ai pas pu résister, je l'ai adopté! Je l'ai lu en une nuit tant je n'ai pas pu le lâcher, happé que j'ai été par cette histoire.
Le postulat est simple: deux soeurs jumelles bien différentes, l'une se suicide et l'autre prend sa place usurpant son identité et peu à peu sa vie... et quelle vie! On rentre avec Pauline dans l'intimité et l'existence de Claudine, être thrash par excellence qui côtoie des gens peu recommandables. Le milieu de la musique y est décrit de façon non complaisante: le fric mène la danse et pour y arriver la position horizontale est assez prisée des patrons de labels surtout si la jeune fille est attirante. Quelques passages dans certaines party très jet-set dévoilent aussi ce qu'il y a derrière le rideau de strass et de paillettes, un monde de manipulation, de rencontre et de drogue. A l'heure où certains «people» et médias banalisent des objets comme une «sex-tape», Virginie Despentes décrit ici sans pudeur le contenu de l'une d'entre elle « tournée» par la sœur disparue et les conséquences qu'une telle vidéo peut avoir sur un individu et son image (à 10 000 lieues des âneries que l'on peut lire ou voir sur le sujet). Assez effrayant par moment, très crû aussi, on a bien affaire à un Virginie D. pur jus!
Ce que j'ai préféré et qui est admirablement bien rendu dans cet ouvrage, c'est l'effet de mimétisme qui s'opère entre la sœur vivante et le souvenir de cette sœur haïe. Car c'est une histoire de haine et de répulsion qui peu à peu se transforme en une sorte de fascination, d'auto-destruction à laquelle on assiste impuissant et qui provoque irrémédiablement une boule à l'estomac. Entre flashback sur leur enfance difficile (relations troubles entre elles, père autoritaire et mère démissionnaire) et le présent, peu à peu l'auteur cerne de plus en plus ses personnages qui en deviennent profonds, humains et finalement attachants. On comprend au fur et à mesure où Despentes veut nous emmener. A cet égard, le procédé littéraire que l'on retrouve au tout début et à la toute fin est un modèle du genre et rend compte de l'absurdité de l'existence humaine sans pathos et autres lourdeurs. On peut signaler aussi que, Despentes oblige, ce roman est un vecteur pour l'auteur afin d'exprimer son ressentiment et sa profonde méfiance envers les hommes qui s'avèrent être tous soit des pervers, soit des faibles, soit des manipulateurs. On est souvent plus dans la caricature que dans la peinture réaliste mais c'est aussi ce qui fait le charme de cette auteur que j'affectionne tout particulièrement.
Pour ceux qui suivent notre blog, vous savez que Despentes est une de mes auteurs fétiches. Ce livre ne me fera pas changer d'avis tant j'ai pris du plaisir à le dévorer entre fascination-répulsion et le bonheur de retrouver l'écriture si directe et fraîche de l'auteur. Un p'tit plaisir bien déviant dont il serait dommage de se priver! A bon entendeur...
Oeuvres de Virginie Despentes aussi chroniquées au Capharnaüm Éclairé:
- Les chiennes savantes
- King Kong theorie
- Apocalypse bébé