Philippe Katerine fout la banane
Philippe Katerine a sorti il y a quelques mois son dernier album, sobrement nommé "Philippe Katerine". La sobriété, l'économie de mots, voilà ce qu'a choisi ce doux dingue de la chanson française actuelle pour ce 10ème album. Certains parleront de foutage de gueule d'autres de génie. Je fais partie de cette seconde catégorie de personnes.
Avec cet album, Katerine nous mène plus loin qu'aucun de ses précédents albums ne nous a amené, dans un monde basé sur le ressenti et les émotions primaires. En prenant le parti d'économiser ses mots, Katerine prend le contre pied "Des créatures". Ici nous sommes dans le minimaliste. "Bla bla bla" en est l'exemple flagrant. Mais qui dit minimalisme au niveau du vocabulaire ne veut pas dire titres faciles et pauvres en talent. La musicalité des morceaux, l'inventivité et le second degré prennent une place majeure dans ce "Philippe Katerine". "Les derniers seront toujours les premiers" reprend bêtement l'alphabet à l'endroit et à l'envers mais essayez de commencer par le Z et vous verrez que nous sommes loin de la facilité.
Philippe Katerine fait ici plus dans l'objet d'art que dans l'album classique. Ne vous attendez pas à rencontrer des morceaux communs, tout est invention et on imagine très bien cette galette dans un musée d'Art Contemporain.
Comme je le disais Philippe Katerine cherche à éveiller en nous des sentiments primaires avec des titres aussi bien contruits que "Des bisous" (vous vous transformerez en bisounours vivant), "Bien mal" avec le talent de faire passer le bonheur et la tristesse simplement par des accords, "Moustache" ou comment faire de la musique avec le rire, "Sac en plastique" exprimant la légèreté ou encore "La musique" qui décompose un morceau par le nom de ses notes.
Au delà de la première écoute déroutante, après avoir passé le cap de la surprise, on découvre une autre dimension à cet album. Katerine avance des arguments face à des sujets d'actualité, certes de façon succincte (toujours cette économie de mots) mais qui font mouche. Sous couvert de dérision, il donne son opinion sur divers sujets de société et le résultat ne se fait pas attendre. "Liberté" pourrait sans problème se retrouver en tête de cortège de manifestation. "Liberté mon cul, égalité mon cul, fraternité moncul", pas besoin d'en rajouter tout est dit. "La reine d'Angleterre" montre bien ce que les chefs d'Etat ont comme considération à l'égard de leurs concitoyens. "La banane", single qui a cartonné sur les ondes, aborde les sujets de la liberté et du droit à la différence: "plutôt crever que de me lever parce que vous me le demandez". "Té-lé-phone", quant à lui, a pour objet la modernisation et la dépendance à un gadget devenu indispensable aux accro de high tech. Enfin "Juifs arabes" qui rien qu'avec son titre m'exempte de tout commentaire quant à son contenu.
Parlons des duos maintenant.Cet album, ouvertement présenté comme familial avec la photo de famille de la pochette, propose des duos qui sont autant de moments de partage arrivant comme des ovnis dans le monde musical: "J'aime tes fesses" avec son amie Jeanne Balibar, "à toi - à toi" avec sa fille Edie. Enfin "Il veut faire un film (avec une femme nue et des handicapés)" avec ses parents, il fallait oser. Surréaliste. En restant dans l'halu totale, on a aussi "Le rêve" de Katerine qui est assez "déconcertant". Quelle folie, quelle impertinence. Au jour d'aujourd'hui aucun artiste n'ose aller aussi loin. Quel pied!
"Parivélib'" est l'exception qui confirme la règle. Là, pas d'économie de mots et une vraie ode au bonheur de faire du vélo à Paris la nuit sous substance. Ce titre est un vrai bijou. Seul Katerine peut se permettre ce genre d'objet musical et que tout le monde crie au génie. Dans l'idée, "Vieille chaîne" est aussi magnifique et on s'attendrit sur une chaîne hifi abandonnée aux ordures sur fond d'une instru prenant aux trippes. Si quelqu'un nous aurait dit ce genre de choses avant l'écoute de cet album, on lui aurait rit au nez. Et pourtant...
La meilleure pour la fin, mon coup de coeur: "Musique d'ordinateur" où le trip absolu sur la musique de Windows XP. On frôle le génie niveau instrumental. C'est court (1.49) mais il y a du 70's dans ce morceau, du Pink Floyd même. Superbe.
Merci Monsieur Katerine pour ces moments de joie à la découverte de chaque nouvel album. Encore une fois, on en prend plein la vue!