Racaille, le retour
Il n'a guère changé, au fond. A peine rentré de Chine, Sarkozy rendosse son uniforme de premier flic de France. Celui-là même qui lui avait tellement réussi pendant quatre ans, et il reprend les mêmes mots: "ce qui s'est passé à Villiers-le-Bel n'a rien à voir avec une crise sociale, mais tout à voir avec la voyoucratie". On va vous en débarasser, madame! "Nous les retrouverons un par un". Etc...
C'est curieux, ce discours qui fait du surplace. Pourquoi, à la suite de la mort de deux gamins, des "voyous destructurés", des "trafiquants", se mettraient-ils à fomenter des émeutes qui dérangent leurs trafics? Pourquoi les "voyoucrates" se mettraient-ils soudain à tirer sur les flics? Pourquoi les premiers "émeutiers" jugés en comparution immédiate n'avaient-ils pas le profil de voyous (leur casier était vierge)? Ces questions n'intéressent pas Sarkozy et les réponses qu'on pourrait leur apporter non plus. Surtout, ne pas chercher à comprendre. Surtout, continuer à répéter, comme les émeutes de novembre 2005, qu'il s'agit de bandes organisées Surtout, faire comme si un rapport des RG n'avait pas montré alors qu'il ne s'agissait en rien de bandes, mais de jeunes "ni organisés, ni manipulés", mais mus par une "énorme désespérance sociale et une perte de confiance totale envers les institutions de la République". Surtout, rester dans le déni. Et ne pas écouter ceux qui disent autre chose.
Par exemple, le sociologue Laurent Mucchieli, pour qui la tension permanente qui préside au "face-à-face entre jeunes et forces de l'ordre" tient à "la façon dont on forme les policiers, la doctrine qu'on leur donne, les façons qu'ils ont d'intervenir dans les quartiers" (RFI, 26/11). Quoi? La police y serait pour quelque chose? En supprimant la police de proximité, et en la remplaçant par des CRS hyper-caparaçonnés, casqués, schtroumpfisés, Sarkozy n'aurait pas vraiment rendu faciles les relations entre jeunes du quartier et forces de l'ordre? Impensable, évidemment. Inaudible. Inaudible aussi le discours de ces maires de banlieue qui affirment que depuis les émeutes de 2005 les choses empirent. Pénurie de moyens partout. Sentiment d'abandon. Insécurité qui, contrairement aux promesses de Sarkozy d'hier, ne recule pas. Vision gouvernementale à court terme. Désengagement de l'État des dispositifs d'aide. "Tous les indicateurs sont à la hausse, précarité, chômage, misère, violence... L'économie parallèle gangrène des quartiers où les habitants subissent les règles d'un libéralisme sauvage qui se traduit par le règne de la loi du plus fort" (Le Monde, 28/11).
Inaudibles aussi, les mots de Marie-Rose Moro, chef du service de psychopathologie d'un hôpital de Bobigny, qui a vu défiler chez elle de nombreux jeunes après les émeutes de 2005, et dit que c'est surtout leur "très grand sentiment d'échec" qui leur donne cette rage autodestructrice (La Croix, 30/11). S'ils ont détruit ce qui constituait leur environnement proche, des écoles ou des bibliothèque... bref, des lieux qui, à priori, pouvaient les aider à avancer dans la vie ou à rendre celle-ci plus agréable, c'était "vraiment le signe qu'il n'y avait plus rien de possible dans leur vie, plus d'issue. C'est quelque chose qui revient sans arrêt chez eux, cette certitude que plus rien n'est possible".
Inaudible, bien sûr, puisque "ensemble tout devient possible". Et que sous Sarkozy les choses sont simples: il y a, d'un côté, les honnêtes gens et, de l'autre, d'affreux voyous "prêts à tout" pour lesquels il est en train de construire de belles prisons toutes neuves.
Jean-Luc Porquet in Canard enchaîné n° 4545 du mercredi 5 décembre 2007.